[ˈSƏːVIS] PRESENT ٠ PERFECT ٠ CONTINUOUS, l’exposition proposée à l’IKOB, s’articule autour de l’événement sans doute le mieux connu dans le monde de l’art : le vernissage. Deux pièces distinctes : dans l’une, l’artiste met en scène une exposition ; dans l’autre, le discours d’inauguration. Pour l’une, des bancs de musée et un pupitre ; pour l’autre, un socle et un ready-made – une ventouse, comme on peut en trouver dans le commerce. L’association mentale des objets exposés à leurs fonctions se fait par la citation de codes courants dans un contexte muséal, comme par exemple le pupitre, mis en place pour l’inauguration et utilisé pour permettre à des personnes données d’éclairer le public sur l’exposition. L’art pour lequel une médiation est nécessaire ne saurait-il donc se passer de cette médiation détachée de l’œuvre elle-même, sous la forme d’un discours ? En règle générale, c’est au directeur ou à la directrice du musée que revient le rôle de l’orateur. C’est à lui ou à elle de s’adresser aux visiteurs, de préparer le sésame nécessaire à la compréhension de l’œuvre et de le partager, sous forme d’exposé, avec les personnes présentes.

Marleine Chedraoui ne s’est pas contentée de suggérer ce moment de partage. Elle a invité plusieurs directeurs et directrices d’autres musées à venir à l’IKOB pour tenir effectivement un discours, derrière ce pupitre. Un discours intitulé Die Eröffnung [L’inauguration, mais aussi L’ouverture], collage élaboré par l’artiste à l’aide de fragments tirés de Wikipédia, sur la base du mot-clé « Eröffnung ». Le texte trahit l’ambiguïté du mot choisi. Aux échecs, l’ouverture a une fonction stratégique importante, dont peut dépendre tout le reste de la partie. Certains passages de ce discours-collage (par exemple : « l’ouverture [ou l’inauguration] doit permettre de créer un réseau, de se développer et d’assurer sa position ») prennent un tout autre relief si on les replace dans un contexte artistique, et non pas dans celui du jeu d’échecs.

Le procédé retenu par Marleine Chedraoui – exposer l’exposition, la placer, pour ainsi dire, sur la table de dissection pour se plaire à l’analyser sous toutes les coutures – est extrêmement efficace, puisqu’il devient impossible de se soustraire à cette interrogation : pourquoi les inaugurations d’expositions obéissent-elles toujours au même schéma ? Les questions de pouvoir qui se font jour dans la relation entre l’art et les mots, entre les artistes et les directeurs ou directrices de musée se trouvent tout à coup au cœur de l’exposition. Un véritable tour de force de Marleine Chedraoui, qui observe l’art en tant que système comme si elle n’en faisait pas partie. Pour autant, ce pas de côté, cette attitude d’observateur n’a rien de froid ni de désapprobateur. Comme aux échecs, l’ouverture (ou inauguration) proposée par l’artiste est une stratégie destinée à dégager l’art de l’étau de la contextualisation. En ce sens, Marleine Chedraoui est, à maints égards, une artiste émancipatrice.

Le 29.05.2018 à 19 h 30, le collage de textes intitulé Die Eröffnung sera prononcé par Andreas Beitin, directeur du musée Ludwig Forum for International Art (Aix-la-Chapelle).

Les dates des autres rendez-vous :
Vendredi, 1er Juin, à 17h00 : Carmen Genten, comissaire d’exposition au Musée des Beaux-Arts, Liège
Samedi, 2 Juin, à 15h00 : Lene ter Haar, directrice artistique, SCHUNCK, Heerlen
Dimanche, 3 Juin, à 15h00 : Arie Hartog, directeur, Gerhard-Marcks-Haus, Brème
Mercredi, 13 Juin, à 17h00: Frank-Thorsten Moll, directeur, IKOB, Eupen
Mardi, 19 Juin, à 17h00: Frank-Thorsten Moll, directeur, IKOB, Eupen
Dimanche, 1er Juillet, à 15h00: Frank-Thorsten Moll, directeur, IKOB, Eupen

Sur demande, Frank-Thorsten Moll lira le collage de texte exclusivement pour vous. Veuillez écrire un courriel à moll@ikob.be pour convenir d'une date convenable.

L’entrée est gratuite, une participation étant toutefois la bienvenue.

Dans ses projets, MARLEINE CHEDRAOUI se confronte, le plus souvent dans un registre conceptuel, à l’art en tant que système. Elle rend visibles des processus, des modes de fonctionnement et des lois qui ne sont généralement pas remis en question, parce qu’ils sont perçus comme des choses « qui se font », qui sont « normales ». Pour ce faire, l’artiste invente des situations et des événements qui citent et reproduisent les procédés en usage dans le monde de l’art au niveau international pour, au bout du compte, les déconstruire.

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Marleine Chedraoui, [ˈSƏːVIS] PRESENT ٠ PERFECT ٠ CONTINUOUS, Frank-Thorsten Moll, directeur de l'IKOB, lors du discours d'ouverture, Photo : Gerd Plitzner